MALO
Saint Malo serait né dans l’actuel Pays de Galles au 6ème siècle et est connu comme évêque d’Aleth, de nos jours Saint-Servan, rattachée à la commune de Saint-Malo. Il est considéré comme le fondateur de l’évêché de Saint-Malo.
Les animaux emblématiques de saint Malo ? Le loup, assurément, le roitelet bien-sûr, et la baleine peut-être !
Un jour que saint Malo s’en allait travailler son lopin se terre, il laissa comme à l'accoutumée son manteau suspendu à la branche d’un arbre. A son retour, il aperçut qu’un roitelet (laouenanig) en avait profité pour pondre un œuf dans son capuchon. Et l’on raconte que le saint homme ne reprit son vêtement qu’après que l’oiseau eût élevé sa couvée. Cette histoire se déroulait en Armorique.
Car avant de devenir évêque, Malo fut d’abord explorateur des mers, puis ermite et paysan. Est-ce ces années passées à se confronter aux difficultés des éléments qui lui valurent le caractère bien trempé et le menèrent ainsi à avoir des relations plutôt houleuses avec ses futures ouailles ?
C’est dans ce contexte de grande tension avec les habitants de la contrée auxquels il demandait sans doute des changements qui n’étaient pas à leur convenance, que Malo choisit un jour de s’en aller en Saintonge, région nord de l’Aquitaine.
C’est là qu’un paysan lui offrit un âne en cadeau. Un jour, « un loup survint à jeun qui cherchait aventure »...et qui fit passer l’âne de vie à trépas, ce que n’apprécia pas saint Malo. Celui-ci se rendit illico à la lisière de la forêt et appela le loup. Obéissante, la bête se coucha devant lui et se mit depuis lors à le servir comme le faisait l’âne et même à protéger le monastère où s’était retiré Malo.
Ici, une remarque : autant nous faisons preuve du plus grand scepticisme en ce qui concerne la véracité de cette histoire, autant nous récitons par cœur –pour ceux qui l’ont appris- le dialogue entre le loup et l’agneau de la Fable d’Esope/La Fontaine. D’où vient cette différence? Serait-ce parce que que La Fontaine nous donne toute faite la morale de la fable (« La raison du plus fort est toujours la meilleure ») et que la Vie de Saint Malo laisse le lecteur seul face à ses « réflexions profitables » ?
Mais avant de vivre sur le plancher des vaches, Malo fut un grand marin. Qui se souvient aujourd’hui de ses aventures ? celles d’Ulysse contées par Homère au 7éme siècle av.J.C. sont bien plus célèbres, la civilisation de l’olivier et du marbre ayant (presque) chassé celle du chêne et du granit. On peut cependant trouver ce qui nous rassemble d’une culture à l’autre, car la soif de l’inconnu est la même pour tous les chercheurs. Et puis ces coïncidences…Malo est issu du vieux breton mach, otage et luth, brillant, et Homère se dit en grec ancien Ὅμηρος / Homêros, otage, ou celui qui est obligé de suivre. Bizarre, vous avez dit bizarre ? De qui serions-nous l’otage…brillant ?
Les heurs et malheurs de Sinbad le marin des Contes des mille et une nuits nous semblent plus familiers que ceux de Malo et son maître Brendan? Recherchons ici aussi les points de rencontre entre les traditions perse et celtique. Si le Voyage de Brendan et Malo dure sept ans, Sinbad effectue en tout sept voyages, et nous n’attendrons pas trop pour trouver une autre similitude, qui a lieu lors de son premier voyage. En effet, l’histoire raconte que Sinbad débarque sur ce qui lui apparaît être une île, et qui, en réalité, est une baleine. Celle-ci plonge alors que s'est éloigné le bateau de Sinbad, le laissant seul au milieu de la mer. Cette histoire ne pouvait-elle voir le jour que chez des Méridionaux -on connaît l'histoire de la Sardine qui a bouché l'entrée du port de Marseille- oubien est-elle possible ausssi en Mer de Bretagne?
L'odyssée de l'espace et du temps de Malo et Brendan.
Des versions en prose et en vers du « Voyage de saint Brendan », existent en latin, breton, gallois, anglais, saxon, irlandais, gaélique écossais, français et anglo-normand. Nous avons choisi un texte écrit au 12ème siècle par Benedeit, en anglo-normand.
Extrait de « Le voyage de saint Brendan », excellent livre électronique, cliquez ( navigateur conseillé: Internet Explorer ) ICI puis sur la couverture du livre
Eissent s'en fors tuit li frere Tous les moines descendirent du bateau
Fors sul l'abes qui enz ere. Sauf l'abbé qui resta à bord.
Beal servise e mult entrin Ils célébrèrent un bel office très solennel
Firent la nuit e le matin. Toute la nuit jusqu'au lendemain matin
Puis que unt tut fait lur servise Après la cérémonie,
En la nef cum en eglise, Dans le bateau en guise d'église
Charn de la nef qu'il i mistrent, Ils sortirent de la viande qu'ils avaient mise à bord
Pur quire la dunc la pristrent. Dans l'intention de la faire cuire
De la busche en vunt quere Ils s'en vont chercher du bois
Dunt le manger funt a terre. Et préparent le repas sur la terre ferme
Cum li mangers fud cunrëez, Quand tout fut prêt,
Dist li bailis: 'Or asëez !' L'intendant annonça: «Maintenant, asseyez-vous ! »
Dunc s'escrïent mult haltement: Alors tout le monde de s'écrier très fort :
'A ! donz abes, quar nus atent!' « Ah ! abbé, maître, attends-nous! »
Quar la terre tute muveit Car toute la terre s'était mise en mouvement
E de la nef mult se luigneit. Et s'éloignait rapidement du bateau.
Dist li abes: 'Ne vus tamez, « N'ayez pas peur », fit l'abbé,
Mais Damnedeu mult reclamez ! « Mais invoquez avec ferveur Dieu notre Seigneur!
E pernez tut nostre cunrei, Prenez tout notre équipement
Enz en la nef venez a mei !' Et venez me rejoindre sur le bateau.»
Jetet lur fuz e bien luncs raps; Il leur lança des perches et de longues cordes,
Parmi tut ço muilent lur dras. Ce qui ne les empêcha pas de mouiller leur habit.
Enz en la nef entré sunt tuit. Ils réussirent tous à regagner le bateau.
Mais lur isle mult tost s'en fuit, Leur île s'éloignait à toute vitesse,
E de dis liuues bien choisirent Et ils distinguaient à dix lieues
Le fou sur lui qu'il i firent. Le feu qu'ils y avaient allumé.
Brandan lur dist: 'Freres, savez Brendan leur dit : «Seigneurs, savez-vous
Pur quei poür oüt avez? Pourquoi vous avez pris peur ?
N'est pas terre, ainz est beste Ce n'était pas sur la terre mais sur un animal
U nus feïmes nostre feste, Que nous avons célébré notre fête,
Pessuns de mer sur les greinurs. Le plus grand des poissons de la mer.
Ne merveillés de ço, seignurs! Ne vous en étonnez pas, seigneurs !
Pur ço vus volt Deus ci mener Dieu voulait nous amener ici
Que il vus voleit plus asener: Pour vous donner encore une leçon :
Ses merveilles cum plus verrez, Plus vous verrez de ses merveilles,
En lui puis mult mielz crerrez. Plus vous croirez en lui.
Primes le fist li reis divins Le Roi divin a créé ce poisson
Devant trestuz pessuns marins Avant tous les autres animaux marins. »
Autre ouvrage, en support papier, celui-ci, « Le voyage de saint Brendan » aux Editions H. Champion, Paris, traduction du livre du même Benedeit, et dont la quatrième de couverture dit ceci :
« Le plus ancien texte narratif connu en langue française (début du XIIe siècle), le Voyage de saint Brendan se range dans la série de pèlerinages fantastiques dans l'Autre Monde, qui a tant obsédé le Moyen Âge celtique. Brendan, moine irlandais légendaire dont le prototype historique vivait au VIe siècle, navigue parmi les îles enchantées de l'Atlantique à la recherche du Paradis terrestre. Le texte-source du poème anglo-normand de Benedeit (Benoît) est la Navigatio sancti Brendani abbatis, qui remonte au IXe siècle, sinon plus loin encore. Les éditeurs présentent ce récit extraordinaire d'exploration et d'aventures dans le cadre d'une odyssée spirituelle, en le situant dans la longue tradition des poèmes de même inspiration, qui de l'Antiquité mène à la Divine Comédie ».
C’est pourquoi nous laisserons la moquerie amusée aux crédules et nous nous interrogerons sur le sens de ce poisson que « Dieu a créé avant tous les autres animaux marins ». Albert Le grand, pour qui « ce n'estoit pas une isle, mais un poisson & beste marine, qu'on nomme baleine », a opté franchement pour un cétacé. Son commentateur dans l’édition de 1901, Alexandre-Marie Thomas, déclare froidement qu’il ne saurait être question que d’une « simple banquise (immense bloc de glace) » à la dérive. En 1878 un écrivain, sans doute Franscique Michel (?) écrit :« N'allez pas croire, lecteur, que ce monstre marin, si docile jusqu'à la fin de la messe, soit précisément une baleine franche, ainsi que nous l'affirme Fr. Don Honoré Philopone, et comme l'appelle également un savant du dix-septième siècle : c'est un jaconius. » Un jaconius : animal fantastique lié aux mondes légendaires. A chacun de voir ! Mais ce serait sans doute faire preuve d’une mauvaise foi certaine que de nier la présence d’un message délivré par saint Brandan : méfions-nous de nos propres illusions lorsque celles-ci nous font attribuer un caractère de stabilité et de permanence à ce qui est instable et non-permanent par nature. Ensuite, il convient sans doute de considérer ce que nous englobons dans notre jaconius, et ce que nous en excluons ?
Le monstre marin, souvent rationalisé par le terme de baleine, est repris de façon universelle dans les mythes et légendes : certains auteurs en auraient dénombré jusqu’à 80 versions. Selon René Guénon, la rencontre avec le monstre marin représente le début d’une période de d’obscurité, intermédiaire entre deux états ou deux modalités d’existence, le symbole de la mort initiatique. Suit la sortie du ventre de la baleine pour le héros qui a été avalé par elle (Jonas) ou son sauvetage, pour celui qui s’est retrouvé un temps sur son dos ( Malo, Sinbad ): la nouvelle naissance. On retrouve ici les ingrédients de la quête : la faim ( du corps et de l’esprit ), le feu ( qui réchaufe et éclaire ), la peur ( devant la réalité inconnue ), le salut enfin. |
Les principaux textes: Les annales médiévales mentionnent sept de ces immrama dont trois nous sont parvenues : le Voyage de Mael Dúin, le Voyage de Uí Chorra et le Voyage de Snedgus et de Mac Riagla. Le Voyage de Bran (Immram Brain maic Febail) est considéré comme appartenant au genre des Echtra tout en contenant des éléments propres aux Immrama. La trame est constituée par les exploits des héros dans leur recherche de l’Autre Monde, généralement localisé dans les îles à l’ouest de l’Irlande. Le but du voyage est l’attrait de l’aventure ou l’accomplissement de son destin. Le retour en Irlande est aléatoire.
Cette thématique du voyage fantastique se retrouve dans un autre type de mythe, celui du héros « appelé » par une bansidh à séjourner dans le monde parfait du Sidh. Ces déités, dont la magie est plus puissante que celle des druides en matière d’amour, attirent des hommes valeureux dans ce monde parfait et intemporel, ils croient séjourner quelques heures mais y restent une éternité, rendant impossible le retour dans le monde terrestre.
(1) Immarama est le titre de l'album du musicien Roland Becker, sorti en novembre 2010. La musique de ce CD est celle de la tradition bretonne "à entendement modal", par différence avec la musique occidentale "à entendement tonal".
La tradition populaire
La tradition populaire bretonne aurait-elle gardé une trace de la tradition celtique ancienne? Oui, s’il faut en croire Fañch-Vari Luzel. Dans son Contes populaires de Basse-Bretagne, plusieurs récits abordent ce même thème récurrent dans la tradition celtique. Par exemple, Le château de cristal raconte les aventures d'Yvon Dagorn, parti à la recherche d’un prince aux cheveux d’or marié à sa sœur. Quand, après tant d’aventures et d’épreuves il s’en revient chez lui, personne ne le reconnaît. A la place de sa maison il trouve de vieux chênes. Les personnes âgées du village lui indiquent une tombe au cimetière qui porte le même nom de famille que lui : celle de ses parents, enterrés là depuis trois cents ans. Une autre légende, collectée par le même F.M. Luzel, rapporte une histoire assez semblable. la voici. ".../...J'ai entendu conter, dans ma jeunesse, ajoutait-il, qu'un jour un jeune enfant qui ramassait des coquillages sur le rivage fut accosté par un Kornandon (un nain) qui le séduisit par de belles promesses et de brillants joujoux et l'emmena, par ses routes souterraines, dans une ville enchantée, d'un éclat et d'une richesse merveilleuse, où tout était argent et or, perles et diamants, réjouissances et festins magnifiques. Cependant rien ne remuait, ni ne parlait, ni dans les rues et les boutiques, ni autour des tables surchargées de mets délicieux, qui fumaient et répandaient une odeur délectable. Partout l'immobilité et le silence le plus absolu. L'enfant, guidé par le Kornandon, circulait partout, parcourait le rues et les palais, et marchait de merveille en merveille, d'étonnement en étonnement. S'il avait eu sur lui le moindre objet bénit, un chapelet, une croix, une médaille, pour jeter dans un de ces palais enchantés, ou en toucher seulement un des habitants de cette cité fantastique, aussitôt le charme en aurait été rompu, la vie et le mouvement auraient repris leur cours ordinaire, et la ville engloutie aurait reparu au soleil, aussi brillante et prospère que jamais. Malheureusement, l'enfant n'avait sur lui aucun objet bénit, ce que voyant le Kornandon, il le reconduisit, sans aucun mal, au lieu où il l'avait pris. Mais l'enfant, qui ne paraissait pas avoir vieilli durant son voyage, qui, du reste, lui semblait n'avoir duré que quelques heures, ne reconnaissait plus personne dans le pays, et personne aussi ne le reconnaissait. Cependant on fit des recherches; on consulta les plus anciens, et on finit par reconnaître qu'il y avait juste cent ans qu'il avait disparu, sans que jamais ses parents eussent pu découvrir ce qu'il était devenu. On le soupçonna pourtant d'avoir été enlevé par un Kornandon, et un gwerz fut même composé sur ce sujet, par un vieux barde du pays". Relativité du temps? Laissons à Gwenc'hlan Le Scouézec le soin de nous en dire deux mots: ".../...la Navigation de Bran, fis de Fébal, à la terre des vivants. Ce texte irlandais, que nous connaissons par un manuscrit du XIème siècle, rapporte une histoire antérieure à l'époque chrétienne. Lorsque Bran et ses compagnons, ayant quitté l'île des Femmes, revinrent dans leur pays, les gens leur demandèrent qui était venu de la mer. Il répondit: - C'est moi, Bran, fils de Fébal. - Nous ne le connaissons pas, dit l'autre; mais nous avons la Navigation de Bran dans nos vieilles histoires. Nectân saute de sa barque. Aussitôt qu'il eût touché la terre d'Irlande, il tomba aussitôt en cendres, comme s'il avait été en terre depuis des centaines d'années. Ainsi, toute la tradition celtique s'accorde sur la relativité du temps: celui-ci diffère selon les niveaux d'existence. Dans l'Autre Monde il n'existe pas ou, du moins, la durée d'un instant y vaut des années d'ici-bas". ( in Bretagne terre sacrée. Ed. Coop Breizh).